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[Transcriber's note: Guy Chantepleure (pseudonyme de Jeanne Violet,
Mme Edgar Dussap) (1875-19??), La passagère (1911), édition de 1921.
Observation: this is an abridged version.]
1921
— Vous à Vichy, cher ami!
Roger Lecoulteux zézaye très fort. Un peu courtaud pour l'élégance deson costume d'été, les cheveux trop blonds, la peau trop rose,semblable à un gros enfant joyeusement repû et fraîchementdébarbouillé, il s'est dressé devant Kerjean, il l'arrête, gênant lespassants au milieu de l'allée bitumée qui, du Hall des Sources auCasino, traverse le Vieux Parc de Vichy.
— Qu'est-ce qui vous attire ici, Kerjean?… Je parierais que c'est lemeeting d'aviation.
— Vous gagneriez.
— Moi, je suis venu sur la demande de ma mère qui commençait une cure,puis, la cure accomplie, ma mère est partie… et, sur son conseil, jesuis resté… Toute une histoire!
— Vraiment!
Kerjean sourit. Il est rare que Roger Lecoulteux émette de suite troisphrases, sans alléguer les actes ou citer les opinions de sa mère.
— Kerjean, cher ami, j'étais au champ d'Abrest, hier… Comment nevous y ai-je pas vu?… C'est surprenant!
— C'est très naturel… Dans une réunion de ce genre, on voit lespilotes illustres, on se fait montrer les constructeurs célèbres… etles ingénieux obscurs, comme moi, ne peuvent que demeurer inaperçus…
— Peste! Je sais, dans les milieux aéronautiques, des gens qui ne vousconsidèrent pas comme un ingénieur obscur!… Vous êtes toujours chezPatain?
— Toujours.
— Content?
— Très content.
— Tant mieux, donc!… Cher ami… Je suis follement épris d'une jeunefille exquise. Ma mère veut que je me marie… Elle pense qu'un hommedoit se marier à la fleur de l'âge et que je suis à point…
Lecoulteux s'est emparé de Kerjean; il lui a pris le bras, ill'entraîne dans la direction du Casino.
Guillaume Kerjean est long et svelte, avec cette souplesse heureuse ducorps, cette aisance particulière des gestes qu'une saine activitéphysique et la pratique des sports développent chez les hommesrobustes. Il s'habille de vêtements commodes qui ont l'allure anglaiseet ne se distinguent par aucun raffinement visible. Dans le monde, lesfemmes à qui on le présente le trouvent laid. Cependant, elles ne nientpas que ces traits abrupts, cette maigreur brune et chaude, puissentparaître intéressants, sympathiques et presque beaux… Et peut-êtreregrettent-elles que, trop souvent tournés vers quelque mystérieuxproblème dont l'énigme les embrume, ces yeux, d'un gris changeant oùdort le bleu ardent de la flamme, n'en éclairent que si fugitivement lasculpture maladroite et puissante.
Les voici au café de la Restauration, buvant un cocktail, en plein air.
— Dites-moi, Kerjean, quand vous étiez à l'Ecole centrale, avec
Etienne Davrançay et mon cousin Lignière, — celui qui prospecte à
Madagascar, — vous alliez sou