ŒUVRES
COMPLÈTES
DE
LAURENT STERNE.

NOUVELLE ÉDITION AVEC XVI GRAVURES.

TOME CINQUIÈME.

A PARIS,
Chez JEAN-FRANÇOIS BASTIEN.
AN XI.—1803.

Ce volume contient

Le Voyage sentimental avec la suite etconclusion.

VOYAGESENTIMENTAL.

«Cette affaire, dis-je, est mieux régléeen France.»

Vous avez été en France? me dit le plus polimentdu monde, et avec un air de triomphe,la personne avec laquelle je disputois… Ilest bien surprenant, dis-je en moi-même,que la navigation de vingt-un milles, car il n'ya absolument que cela de Douvres à Calais,puisse donner tant de droits à un homme…Je les examinerai… Ce projet fait aussitôtcesser la dispute. Je me retire chez moi…Je fais un paquet d'une demi-douzaine dechemises, d'une culotte de soie noire… Jejette un coup-d'œil sur les manches de monhabit, je vois qu'il peut passer… Je prendsune place dans la voiture publique de Douvres.J'arrive. On me dit que le paquebot part lelendemain matin à neuf heures. Je m'embarque;et à trois heures après midi, jemange en France une fricassée de poulets,avec une telle certitude d'y être, que s'ilm'étoit arrivé la nuit suivante de mourir d'indigestion,le monde entier n'auroit pu suspendrel'effet du droit d'aubaine. Mes chemises,ma culotte de soie noire, mon porte-manteau,tout aurait appartenu au roi deFrance; même ce petit portrait que j'ai silong-temps porté, et que je t'ai si souventdit, Eliza, que j'emporterois avec moi dansle tombeau, m'auroit été arraché du cou…En vérité c'est être peu généreux, que de sesaisir des effets d'un imprudent étranger,que la politesse et la civilité de vos sujetsengagent à parcourir vos états. Par le ciel,Sire, le trait n'est pas beau: je fais ce reprocheavec d'autant plus de peine, qu'ils'adresse au monarque d'un peuple si honnête,et dont la délicatesse des sentimensest si vantée par tout.

A peine ai-je mis le pied dans vos états…

CALAIS.

Je dînai. Je bus, pour l'acquit de ma conscience,quelques rasades à la santé du roide France, à qui je ne portois point rancune;je l'honorois et respectois au contraire infiniment,à cause de son humeur affable ethumaine; et quand cela fut fait, je me levai detable en me croyant d'un pouce plus grand.

Non… dis je, la race des Bourbons estbien éloignée d'être cruelle… Ils peuvent selaisser surprendre; c'est le sort de presquetous les princes; mais il est dans leur sangd'être doux et modérés. Tandis que cettevérité se rendoit sensible à mon ame, je sentoissur ma joue un épanchement d'une espèceplus délicate, une chaleur plus douceet plus propice que celle que pouvoit produirele vin de Bourgogne que je venois deboire, et qui coûtoit au moins quarante sousla bouteille.

Juste Dieu! m'écriai-je, en poussant du piedmon porte-manteau de côté, qu'y a-t-il doncdans les biens de ce monde pour aigrir sifort nos esprits, et causer des querelles sivives entre ce grand nombre d'affectionnésfrères qui s'y trouvent?

Lorsqu'un homme vit en paix et en amitiéavec les autres, le plus pesant des métauxest plus léger qu'une plume dans sa main.Il tire sa bourse, la tient ouverte, et regardeautour de lui, comme s'il cherchoit un objetavec lequel il pourroit la partager. C'est précisémentce que je cherchois… Je sentoistoutes mes veines se dilater; le battementde mes artères se faisoit avec un concert admirable;toutes les puissances de la vie accomplissoienten moi leurs mouvemens avecla plus grande facilité; et la précieuse la plusinstruite de Paris, avec tout son matérialisme,auroit eu de la peine à m'appeler unemachine.

Je suis persuadé, me disais-je à moi-m

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