(Publié dans une autre édition
sous le titre de "EMMA LYONNA" Tome V)
PARIS CALMANN LÉVY, ÉDITEUR
ANCIENNE MAISON MICHEL LÉVY FRÈRES
RUE AUBER, 3, ET BOULEVARD DES ITALIENS, 15
A LA LIBRAIRIE NOUVELLE
L'exécution de Caracciolo répandit dans Naplesune consternation profonde. À quelque parti quel'on appartînt, on reconnaissait, dans l'amiral, unhomme à la fois considérable par la naissance et parle génie; sa vie avait été irréprochable et pure detoutes ces souillures morales dont est si rarementexempte la vie d'un homme de cour. Il est vrai queCaracciolo n'avait été un homme de cour que dansses moments perdus, et, dans ces moments-là, on l'avu, il avait essayé de défendre la royauté avec autantde franchise et de courage qu'il avait défendudepuis la patrie.
Cette exécution fut, surtout pour les prisonnierssous les yeux desquels elle avait eu lieu, un terriblespectacle. Ils y virent leur propre sentence, et, lorsque,au coucher du soleil, ainsi que le portait lejugement, la corde fut coupée et que ce cadavre, surlequel tous les yeux étaient fixés, n'étant plus soutenupar rien, plongea dans la mer rapidement, entraînépar les boulets qu'on lui avait attachés auxpieds, un cri terrible, parti de la bouche des prisonniers,s'échappa de tous les bâtiments, et, courantà la surface des flots comme la plainte de l'esprit dela mer, eut son écho dans les flancs mêmes du Foudroyant.
Le cardinal ignorait tout ce qui venait de se passerdans cette terrible journée, non-seulement le procès,mais encore l'arrestation de Caracciolo.--Nelson,on l'a vu, avait eu grand soin de se faire amenerle prisonnier par le Granatello, défendant expressémentde le faire passer par le camp de Ruffo;car, à coup sûr, le cardinal n'eût point permis qu'unofficier anglais, avec lequel, d'ailleurs, il était depuisquelques jours en complète dissidence sur un pointd'honneur aussi important que celui des traités,mît la main sur un prince napolitain, ce prince napolitainfût-il son ennemi; à plus forte raison surCaracciolo, avec lequel il avait fait une espèce d'alliancesinon offensive, du moins défensive.
On se rappelle, en effet, qu'en se quittant sur laplage de Cotona, le cardinal et le prince s'étaientpromis de se sauvegarder l'un l'autre, et, à cetteépoque où l'on ne pouvait rien préjuger sur l'avenir,à moins d'être doué de l'esprit prophétique, onpouvait aussi bien penser que ce serait le prince quisauvegarderait Ruffo, que Ruffo qui sauvegarderaitle prince.
Cependant, aux coups de canon tirés à bord duFoudroyant, et à la vue d'un cadavre suspendu à lavergue de misaine, on était accouru dire au cardinalqu'une exécution venait, sans aucun doute, d'avoirlieu à bord de la frégate la Minerve. Entraîné alorspar un simple mouvement de curiosité, le cardinalmonta sur la terrasse de sa maison. Il vit, à l'oeil nu,en effet, un cadavre qui se balançait en l'air, et envoyachercher une longue-vue. Mais, depuis que lecardinal avait quitté Caracciolo, celui-ci avait laissépousser ses cheveux et sa barbe, ce qui, à cette distancesurtout, le rendait méconnaissable à ses yeux.En outre, Caracciolo, pendu dans les habits sous lesquelsil avait été pris, était