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LES FEMMES D'ARTISTES

PAR
ALPHONSE DAUDET

PARIS ALPHONSE LEMERRE, ÉDITEUR M DCCC LXXVIII

PROLOGUE

Etendus, le cigare aux lèvres, sur un large divan d'atelier, deuxamis—-un poëte et un peintre—-causaient un soir après dîner.

C'était l'heure des effusions, des confidences. La lampe éclairaitdoucement sous l'abat-jour, limitant son cercle de flamme à l'intimitéde la causerie, laissant à peine distinct le luxe capricieux des vastesmurailles encombrées de toiles, de panoplies, de tentures, et terminéestout en haut par un vitrage où le bleu sombre du ciel pénétraitlibrement. Seul, un portrait de femme, légèrement penché en avant commepour écouter, sortait à moitié de l'ombre, jeune, les yeux intelligents,la bouche grave et bonne, avec un sourire spirituel qui semblaitdéfendre le chevalet du mari contre les sots et les décourageux. Unechaise basse écartée du feu, deux petits souliers bleus traînant sur letapis indiquaient aussi la présence d'un enfant dans la maison; et, eneffet, de la chambre à côté, où la mère et le bébé venaient dedisparaître, sortaient par bouffées des rires doux, des gazouillements,le joli train d'un nid qui s'endort. Tout cela répandait dans cetintérieur artistique un vague parfum de bonheur familial que le poëteaspirait avec délices:

«Décidément, mon cher, disait-il à son ami, c'est toi qui as eu raison.Il n'y a pas plusieurs façons d'être heureux. Le bonheur est là, rienque là… Il faut que tu me maries.»

Le Peintre.

Ma foi! non, par exemple… Marie-toi tout seul, si tu y tiens. Moi jene m'en mêle pas.

Le Poëte.

Et pourquoi?

Le Peintre.

Parce que… parce que les artistes ne doivent pas se marier.

Le Poëte.

Voilà qui est trop fort… Tu oses dire cela ici, et la lampe nes'éteint pas brusquement, les murailles ne croulent pas sur ta tête…Mais songe donc, malheureux, que tu viens de me donner pendant deuxheures le spectacle et l'envie de ce bonheur que tu me défends.Serais-tu par hasard comme ces mauvais riches qui doublent leurbien-être des souffrances des autres, et savourent mieux le coin de leurfeu en songeant qu'il pleut dehors et qu'il y a de pauvres diables sansabri?…

Le Peintre.

Pense de moi ce que tu voudras. Je t'aime trop pour t'aider à faire unesottise, une sottise irréparable.

Le Poëte.

Voyons. Qu'y a-t-il? Tu n'es donc pas content?… Il me semble pourtantqu'on respire le bonheur ici aussi largement que l'air du ciel à unefenêtre de campagne.

Le Peintre.

Tu as raison. Je suis heureux, complètement heureux. J'aime ma femme àplein cœur. Quand je pense à mon enfant, je ris tout seul de plaisir. Lemariage a été pour moi un port aux eaux calmes et sûres, non pas celuioù l'on s'accroche d'un anneau à la rive au risque de s'y rouilleréternellement, mais une de ces anses bleues où l'on répare les voiles etles mâts pour des excursions nouvelles aux pays inc

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