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Alphonse Daudet
(1890)
Table des matières
LIVRE PREMIER
Chapitre I
Chapitre II
Chapitre III
Chapitre IV
Chapitre V
Chapitre VI
Chapitre VII
LIVRE DEUXIÈME
Chapitre I
Chapitre II
Chapitre III
Chapitre IV
Chapitre V
LIVRE TROISIÈME
Chapitre I
Chapitre II
Chapitre III
Chapitre IV
Chapitre V
Chapitre VI
Au subtil et profond romancier
Des Fictions et des Vies Muettes
Son frère et son ami Alphonse Daudet
Offre ce livre d'humour
C'était septembre, et c'était la Provence, à une rentrée devendange, il y a cinq ou six ans.
Du grand break attelé de deux camarguais qui nous emportait àtoute bride, le poète Mistral, l'aîné de mes fils et moi, vers lagare de Tarascon et le train rapide du P.-L.-M., elle noussemblait divine cette fin de jour d'une pâleur ardente, un jourmat, épuisé, fiévreux, passionné comme un beau visage de femme delà-bas.
Pas un souffle d'air malgré le train de notre course. Les roseauxd'Espagne à longues feuilles rubanées, droits et rigides au borddu chemin; et par toutes ces routes de campagne, d'un blanc deneige, d'un blanc de rêve, où la poussière craquait immobile sousles roues, un lent défilé de charrettes chargées de raisins noirs,rien que des noirs, — garçons et filles venant derrière, muets etgraves, tous grands, bien découplés, la jambe longue et les yeuxnoirs.
Grappes d'yeux noirs, et de raisins noirs, on ne voyait que celadans les cuves, sous le feutre à bords rabattus des vendangeurs,sous le fichu de tête dont les femmes gardaient les pointes entreles dentes serrées.
Quelquefois, à l'angle d'un champ, une croix se dressait dans leblanc du ciel, ayant à chacun de ses bras une lourde grappe noire,pendue en ex-voto.
«Vé!… (vois!)» me jetait Mistral avec un geste attendri, unsourire de fierté presque maternelle devant les manifestationsingénument païennes de sont peuple de Provence, puis il reprenaitson récit, quelque beau conte parfumé et doré des bords du Rhône,comme le Goethe provençal en sème à la volée, de ses deux mainstoujours ouvertes, dont l'une est poésie et l'autre réalité.
Ô miracle des mots, magique concordance de l'heure, du décor et dela fière légende paysanne que le poète déroulait pour nous tout lelong de l'étroit chemin, entre les champs d'oliviers et devignes!… Qu'on était bien, que la vie m'était blanche et légère!
Tout à coup mes yeux se voilèrent, une angoisse m'étreignit lecoeur. «Père, comme tu es pâle!» me dit mon fils, et j'eus à peinela force de murmurer, en lui montrant le château du roi René, dontles quatre tours me regardaient venir du fond de la plaine: «VoilàTarascon!»
C'est que nous avions un terrible compte à régler, lestarasconnais et moi. Je les savais très montés, me gardant rancunenoire de mes plaisanteries sur leur ville et sur son grand homme,l'illustre, le délicieux Tartarin. Des lettres, des menacesanonymes m'avaient souvent averti: «Si tu passes jamais parTarascon, gare!» D'autres brandissaient sur ma tête la vengeancedu héros: «Tr