SUZANNE NORMIS

ROMAN D'UN PÈRE

PAR

HENRY GRÉVILLE

Huitième Edition

PARIS

E. PLON et Cie, IMPRIMEURS-ÉDITEURS

RUE GARANCIÈRE, 8

1879

Tous droits réservés



SUZANNE NORMIS

ROMAN D'UN PÈRE



I

...Le docteur, penché sur la poitrine haletantede ma pauvre femme, l'ausculta avec attention,puis la reposa tout doucement sur sonoreiller.

--Encore un peu de patience, chère madame,lui dit-il avec bonté: cela va déjà un peu mieux,et bientôt...

Ma femme leva sur lui ses yeux brillants defièvre. Le docteur se tut, et pressa la mainblanche, presque transparente qui reposait surle drap.

--Nous allons toujours vous ôter cette fièvre-là,reprit-il en griffonnant une ordonnance; etdemain, nous verrons. Je passerai dans la soirée.Au revoir; bon courage.

Ma femme répondit d'une voix claire et distincte:

--Adieu, cher docteur, merci.

Le médecin disparaissait sous les rideaux dela porte; je le suivis dans le salon voisin.

--Eh bien, docteur? lui dis-je, presque tranquille,--savoix et ses paroles avaient un peucalmé mes angoisses.

Il se retourna vers moi, et me serra les deuxmains... Ses bons yeux gris clair, pleins de pitiéet de douleur, me firent l'effet de deux couteauxde boucher qu'il m'aurait brusquement enfoncésdans la poitrine; je répétai machinalement:

--Eh bien?

--La fièvre va tomber d'ici deux heures,dit-il, et ensuite... Prenez garde, ajouta-t-il enme serrant le bras, elle peut vous entendre...

Le cri que j'allais pousser resta dans ma poitrine,la déchirant, la torturant. Je fis un mouvementpour me dégager le cou; j'étouffais.

--Soyez homme, reprit le docteur. Vous avezune fille.

--Une orpheline? re'pondis-je si tranquillementque j'en fus étonné moi-même.

Il me semblait que j'étais environné d'unocéan de glace.

--Mon pauvre ami, dit le docteur après unsilence, elle ne souffrira pas beaucoup; le plusdur est passé.

--Alors, demain?

--Ce soir peut-être, demain matin probablement.Je reviendrai. Je vous demande pardonde vous quitter ainsi; on m'attend et l'on souffreailleurs.

--Allez, allez, docteur! lui dis-je machinalement.Vous voyez, je suis calme.

Il s'enfuit presque en courant.

Je fis un effort inouï pour composer monvisage, puis je revins lentement sur mes pas.Ecartant les rideaux de satin, j'ouvris la porte,et je me retrouvai en face de ma femme.

Elle était encore bien jolie, malgré les fatiguesanciennes et la maladie récente, malgré la mortqui allait me la prendre. Au fond de ses grandsyeux bleus qui me regardaient tristement, qued'expressions diverses, toutes plus chères lesunes que les autres, se retrouvaient confondues!Que d'amour, que de regrets, que de prières! Etnous nous étions tant aimés... et nous n'étionsmariés que depuis six ans!...

--Qu'est-ce qu'il t'a dit? murmura ma femmependant que je me penchais sur elle, couvrantde baisers timides son front et ses cheveux noirs,si doux, si longs, dont les tresses roulaient jusqu'àses genoux sur le drap brodé.

--Il m'a dit que ta fièvre va tomber, machérie, lui dis-je en continuant à l'embrasser afinqu'elle ne vit pas mon visage; je me sentais trèscalme cependant, et, sinon résigné, au moinsprêt à tout.

--Oui, répondit-elle tout bas, et comme àelle-même; et quand la fièvre sera tombée, jem'en irai.

Un petit piétinement derrière une porte placéeauprès du lit me coupa la parole. La porte s'ouvrit,et notre fille Suzanne entra sur ses deuxpetits pieds encore incertains.

--Maman

...

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